Après plus d'un mois passé au Chili, et quelques jours au début du séjour avec Arnaud, notre ami français producteur de vin venant du Languedoc et s'étant installé ici, impossible de ne pas écrire quelques lignes sur le vin Chilien, si différent de celui d'Australie, si abordable, et bien sympathique en bouche.
La première surprise quand nous avons acheté nos premières bouteilles de rouge ici, c'est la douceur du vin. Peu tannique, pas agressif du tout, notre première impression a été bonne, selon nos goûts bien sûr. Un vin qui n'attaque pas, ou en tous cas progressivement, contrairement à ce que nous avions vu en Australie, avec une deuxième bouche forte mais pas trop puissante. La première chose qui nous vient en tête : une différence entre les deux pays qui rappelle celle entre Bourgogne et Bordeaux. Fred qui est plutôt Bourgogne, est ravi. Et quand on voit le prix des bouteilles, on l'est encore plus. Quand les premières bouteilles sont à deux ou trois euros en France dans les supermarchés (on ne parle pas de qualité, juste de prix), ici, elles sont à 0,5 euro. Pour quatre euros, vous avez donc l'équivalent français des bouteilles à 10 ou 13 euros. Et pour 10 euros ou plus, vous tapez dans des Gran Reserva et des produits plus hauts de gamme. L'échelle des prix et notre pouvoir d'achat français - bien que tour du mondistes - permet donc de s'en donner à coeur joie, sans hésiter pour se faire plaisir et goûter plusieurs fois par semaine les vins du pays, dans une large gamme de prix.
L'autre grande caractéristique du vin chilien, c'est la dominance du cépage Carménère. Ce cépage, d'origine bordelaise, appartenant à la même famille que les Cabernet Sauvignon, Franc ou Merlot
(les "Carmenets") a disparu de nos terres françaises au 19ième à cause du phylloxera, et n'a quasiment pas été replanté. En France, il n'y a quasiment plus de pieds de vignes pré-phylloxera,
contrairement à ici où cette maladie n'existe pas. Certaines vignes à côté desquelles nous nous arrêtons datent de 1890, franc de pied, sans porte greffe. Et c'est un français qui découvre que le
cépage Carménère est utilisé au Chili dans les années 90, sans que les chiliens eux-mêmes ne soient au courant, par faute de culture oenologique, de technologie suffisante, et à cause de sa forte
ressemblance physique avec le Merlot. Ainsi, parlez de vin à un Chilien et il vous parlera automatiquement de Carménère.
Dans les boutiques, comme partout dans les pays que nous avons traversés, les vins sont classés par cépage, et non par terroir, à la différence de la France. On n'arrive toujours pas à
comprendre, tellement le terroir définit le vin pour nous, mais bon. Ici, une cave, en moyenne, produit 25 millions de litres. Le patron d'Arnaud, chez qui il intervient pour faire le vin,
produit environ 15 millions de litres, pour une surface de 1000 hectares, soit 150 hl/hectare, ou 18t/hectare.
Lorsque nous sommes partis en voiture avec Arnaud, ou encore lorsque nous sommes allés déjeuner chez son ami Don Pato (voir l'article "Un dia de Regalona"), les conversations autour du vin et des
méthodes de production chiliennes ont fleuri. Nous avons traversé les principales régions viticoles du pays, regroupées pour la plupart dans le centre, comme la Vallée de Santa Cruz, ou la vallée
Maipo, qui figurent parmi les meilleures régions, et où de très grosses familles tiennent les "bodeguas" majeures. Santa Rita et San Pedro (à ne pas confondre avec San Pedro de Atacama !) sont
aussi deux endroits où deux autres très gros producteurs de vin ont des domaines répartis un peu partout, sous différentes marques. Par exemple, Don Bidegua Montes, un ancien oenologue, a monté
un projet devenu un empire en 15 ans seulement. Le consultant français Michel Rolland, toujours là où il faut, est en train d'investir massivement au Chili, où tant de choses restent à faire
d'après Arnaud. La région viticole la plus étendue en superficie est la "Maule" (avec par exemple Vina San Pedro, grand de 2000 hectares), qui va de Curivo à Linares, et dont l'équivalent en
terme de positionnement est le Languedoc. 40% des vins chiliens sont produits ici.
Notre ami viticulteur est emballé par le Chili. Et on comprend en l'écoutant pourquoi le vin chilien nous semble de qualité, et est si différent du vin Australien, ou des vins dits "du nouveau
monde". "Ici, toutes les conditions sont réunies pour produire du bon vin", nous explique-t-il. Déjà, les rendements, proche de 50hl/hectare, semblable à la région bordelaise, donnent des
produits subtils. On parle d'ailleurs ici par unités de 40 litres (dont le symbole est "@"), alors qu'on parle d'hectolitre dans le sud de la France, de tonneaux à Bordeaux (225l, soit 4 pièces
ou barriques), ou de pièce bourguignonne de 228l. En outre, la terre est extrêmement fertile. Tout pousse ici, vite, bien, comme en témoigne par exemple les eucalyptus géants qui bordent quelques
vignobles que nous visitons, ou les pins qui grandissent plus vite que dans n'importe quel autre pays. Que ce soit pour de la culture potagère ou pour les arbres fruitiers, la terre est d'une
grande qualité. Un point important dans la compétition mondiale, et quant à la notion de terroir, pourtant si peu développée généralement. Et des terrains, il y en a en abondance. Nous passons
devant de grandes étendues de terre non cultivée, qui sont autant de vignobles en devenir, et d'où il y a bien des choses à tirer. 300 000 hectares sont disponibles, et seuls 10% sont aujourd'hui
exploités. De plus, le prix de la terre est acceptable, et les plaines sont très fertiles. Le problème ? Il n'y a pas de port à proximité. Le jour où un port est construit pas trop loin, tout
cela explose. Ca commence, mais ce n'est qu'un début. On sent le potentiel en étant sur place, voyant tout cela de nos yeux, et écoutant Arnaud... c'est simple, le Chili est un pays où il y a de
la place pour 45 millions d'habitants.
Au Chili, il est possible d'acheter ses raisins auprès de producteurs pour ensuite faire son vin, alors qu'en France, les raisins vont en coopérative ou au chateau, mais ne sont pas vendus en
dehors, sauf en Champagne, région où le rendement est controlé, où il n'y a pas d'arrangements entre producteurs, qui produisent ce qu'ils peuvent vendre. Bref, une bonne politique, où le prix du
kilo oscille autour de 5 euros. En Bourgogne, la vente du raisin existe, mais les négociants achètent surtout du vin, pas trop de raisins. Autre point, la vinification est moins réglementée qu'en
France. Ainsi, l'utilisation d'acide tartrique est par exemple possible, alors que très règlementée dans notre pays.
Chose remarquable, la mécanisation est très peu développée au Chili. 20% des récoltes sont faîtes à la machine, soit le double d'il y a dix ans, alors qu'en France, c'est facilement 80% des
récoltes qui sont mécanisées. L'utilisation des machines commencent donc à peine. La raison ? Une main d'oeuvre peu chère, mais qui commence à poser problème. Un point fondamental.
Certains vignobles sont à fleur de coteaux. Des arbres, au milieu des vignes, sont là, de manière surprenante. Ce sont des Apalta, des espèces protégées qu'il est interdit d'abattre. Ils restent
donc là au milieu des vignes, dans de nombreux domaines, où les plants ont été installés tout autour. Comme souvent bien sûr, sur ces coteaux, l'exposition est un point clé, et le soleil du matin
est souvent plus important pour les raisins que celui du soir.
L'amplitude thermique des régions centrales est importante, de l'ordre d'une vingtaine de degrés, à cause de la cordillère des Andes et du Pacifique, avec un courant venteux provenant de
l'Antarctique. Les vendanges durent longtemps, souvent 3 mois. Les raisins ne se gatent pas, car il fait plutôt froid. Arnaud a fini de vendanger cette année le 26 mai, autrement dit comme s'il
terminait le 26 novembre en France (donc très tard). La maturité est lente, le raisin préservé, et il est toujours possible de vendanger 10 jours après maturité, en tous cas pour les rouges. Cela
donne des arômes plus concentrés, un peu plus d'acidité, et un raisin un peu plus complexe. Tout cela donne aussi des vins plutôt longs et gras, et pas trop alcoolisés, moins stéréotypés. On
comprend mieux pourquoi les vins d'ici ne nous rappellent pas ceux de Bordeaux (dont le taux d'alcool tourne atour de 13,8 ou 14, alors qu'il était de 12 il y a 15 ans, sont plus uniformes dans
leur goût, et sont désormais faits pour être bus dans les 4 ans, car les clients ont changé. L'influence de Robert Parker est aussi passée par là, surtout à Bordeaux d'ailleurs. Et certains
consultants internationnaux tentent d'apporter de nouvelles techniques, au risque de faire perdre l'identité des vins du pays, comme cela a été le cas en Argentine par exemple). Côté couleur, les
pigments sont plus concentrés. Par exemple, dans un autre domaine, les cerises-pomme et les raisins de table sont très rouges.
Tout cela pour dire que les vins chiliens nous ont beaucoup plu. Une vraie surprise. Nous n'avons pas bu de vins exceptionnels, mais peu étaient vraiment décevants ou mauvais. Une constance qui
mérite d'être soulignée. Qu'en sera-t-il dans 10 ans ? En tous cas pour le moment, voila bien des vins que vous pouvez prendre la prochaine fois s'ils font partie de la liste disponible dans
votre restaurant favori, pour changer, et comparer avec ceux d'Afrique du Sud ou d'Australie, si ces derniers sont vos choix habituels. Ou pourquoi pas en discuter avec votre caviste ?
Au fait, si vous deviez goûter un vin du coin, essayer le "Toro de Piedra, Gran Reserva 2010", comme celui que nous avons eu la chance de boire en petit comité en fin d'après-midi pendant le
"tomarté", à l'heure du thé. Sinon, les vignobles Viu Manent, Apostole (de la famille Marnier), ou le "Concha i toro" (provenant du plus grand domaine viticole au monde, avec celui possédé par
une famille aux USA, comprenant 30 vignobles, et 8 caves au Chili) peuvent aussi faire partie de votre liste. Ou encore la Régalona, le vin de notre ami français, dont la production cette année
est d'environ 6000 bouteilles...
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